Ecrire l’histoire de Marguerite était une chose. Trouver un éditeur, signer un contrat en étaient deux autres. Jusque-là, carton plein. L’aventure continue. C’était sans compter avec les aléas de l’illustration. Et, pour faire court, l’affaire n’est plus dans le sac ! Les quelques ébauches proposées par l’éditeur, après six mois d’attente, età la date prévue pour sa parution…, me laissent pantoise mais pas sans mots ! Pas facile d’être tributaire de l’imaginaire d’un autre…
Rechercher un illustrateur indépendant est encore possible mais trop onéreux. Et me faudrait-il « payer cher» encore pour faire exister cette petite fille qui avait peur des mots ? Marguerite reste donc en suspens, près de deux ans. Ni relue, ni corrigée mais toujours en filigrane. Entre « Mon secret » et « Droit d’inventaire », entre « Les chatouilles » et « Un amour impossible », entre « Les poétiques du corps » et « Comme si de rien », entre séances, rêves et manifestations de corps, entre des mots et des images,…
Des images et des mots, n’était-ce pas cela aussi un conte ?
Celui de Marguerite serait-il donc voué à rester lettre morte ? Ne pas m’autoriser à la faire exister ? L’oublier ? L’effacer ? comme le reste…, sorte d'enfant intérieure réduite au silence. Ou en prendre soin, lui permettre de s'exprimer ? Mettre des mots, enfant, et bien plus tard, avait été impossible. Dessiner l’avait été également et le restait. Impossible à dire, impossible à représenter. Les traumas étaient passés par là. Aujourd’hui, Marguerite a enfin trouvé les mots mais comment lui donner forme ?
Oser sa capacité créative ? ou ce qu'il en reste… Même logée à bonne enseigne, c’est pas gagné ! Mise à l’épreuve du désir. La possibilité d'illustrer moi-même cette version « re-composée » de mon histoire se dessine pourtant. Métamorphoser les blessures a dit Boris Cyrulnik. Avec cette idée toujours bien présente à mon esprit, favoriser la parole de l’enfant, l’accompagner vers un lieu d’écoute bien avant l’âge qui fut le mien.
Après « D’un bord à l’autre », mon livre témoignage, ce sera donc avec les moyens du bord ! Dessiner, peindre, tant bien que mal, est étonnement possible. Une Marguerite sans visage prend forme. C'est ma première peinture.
Une quinzaine de dessins plus tard, c’est pourtant le blocage, l’empêchement, un coup d’arrêt sur image, quand le dessin vous dépasse, à votre insu. Difficile de dessiner ça… Essaie encore !
Un peu de distance avec crayon et pinceaux s'impose. D'autant qu'il me faut aussi donner un visage à Marguerite, cela me semble impossible. Et si j’apprenais à utiliser un logiciel de dessin ? J'aime toujours apprendre de nouvelles choses. Je me lance, pas à pas, toujours seule dans l'expérience, et donne corps à Marguerite qui trouve là un visage et une certaine légèreté.
Après quelques semaines de travail, la plupart des illustrations est prête. Plus que quatre. Mais c'est le bug informatique, l'effacement, la perte. Ça frise l'effondrement. Impossible pour Marguerite d'exister. Essaie encore !
Car tout n’est pas perdu, Marguerite n’est pas complètement morte, les dessins sur papier ont échappé à l’effacement. Recommencer, s’accrocher, bricoler un mélange entre peinture et création informatique. Ça va le faire ! Et ça l’a fait !
Bien sûr, Marguerite n’est pas réellement comme j’aurais voulu qu’elle soit, ce serait trop simple mais elle est comme elle est... Elle s'est faite comme ça ! Satisfaction d’être allée jusqu’au bout dans cette nouvelle aventure et dans ce qu'elle a produit, bien au-delà du conte. Avec les moyens du bord, certes, mais surtout d’un nouveau bord..., de ce bord où la vue est plus belle !
A Marguerite maintenant de jouer, comme une grande !
« Quand Marguerite est née, personne ne s’attendait à ce qu’elle arrive si vite, sur les chapeaux de roues, un peu en catastrophe. Pourtant ce n’était pas une catastrophe...
Ainsi commence l’histoire de Marguerite, très tôt cueillie par les mots.
Pas simple la vie de cette petite fille. Mais pas simple non plus la vie d’enfant souvent marquée par les mots et les maux des grands.
« Tous les jours, les mots qui font peur reviennent. Ils sont là, dans un coin de sa tête et de son cœur. Des mots qui n’en font qu’à leur tête. Tous ces mots-là, Marguerite les entend très fort, trop fort, avec tout son corps, comme si son ventre possédait deux grandes oreilles. Le soir ce sont encore les mots qui l’empêchent de s’endormir. Des mots qui viennent derrière ses paupières, avec des images, et se transforment en rêves de cauchemars...
Jusqu’à cette nuit où Marguerite fait un rêve...
« Soudain, au détour d’un chemin, elle tombe nez à truffe avec un loup. Un de ces loups qui, dans certaines histoires, dévorent les grands-mères et les petites filles toutes crues. Passé un moment de frayeur, Marguerite se rend compte que ce loup-là n’est pas de ceux-là… Et il lui raconte qu’il existe quelque part, dans un endroit mystérieux, une petite maison que l’on appelle la Maison des Mots. C’est un endroit où l’on peut parler de tout ce qui ne va pas, sans crainte, où l’on peut dire les mots qu’on a du mal à dire. »
"Au bout du conte, Marguerite sait que si elle rencontre une petite fille ou un petit garçon qui a très peur de quelque chose, elle saura lui parler, avec ses mots, de la Maison des Mots."
Petite fille sans parole, encombrée par les mots et les maux des grands, Marguerite est aussi une petite fille déterminée qui parviendra à trouver le chemin de la Maison des Mots. Un lieu où elle apprendra à apprivoiser les mots, à créer des bouquets de mots qui fleuriront tout comme elle, comme le font les marguerites...
Et pour vous donner envie, peut-être, de mettre ces mots à la bouche pour raconter cette histoire, voici un extrait de "Marguerite, la petite fille qui avait peur des mots".
"Depuis tout petite, Marguerite se sent différente. C'est arrivé un jour, d'un seul coup. Sa maman venait de lui réciter une comptine en effeuillant, une à une, les pétales d'une marguerite cueillie dans une île voisine.
Sa maman l'avait prévenue "la dernière pétale dira comment je t'aime".
Quelle drôle d'idée d'ôter ainsi les pétales d'une fleur pensait Marguerite. C'est comme si, à elle aussi, on enlevait les bras et les jambes.
Et Marguerite avait bien entendu "Je t'aime, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout, je t'aime, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout".
Ce jour-là, la dernière pétale s'est détachée sur pas du tout. Pas du tout ? Serait-il possible que sa maman ne l'aime pas du tout ?
Les marguerites-fleurs pourraient-elles dire vrai ? Normalement, les fleurs ne mentent pas vu qu'elles ne parlent pas."
A suivre...
Voilà, j'ai voulu écrire cette histoire pour favoriser la parole des enfants, qu'ils puissent, à leur tour, mettre leurs propres mots sur les maux de Marguerite et aussi faciliter leur accompagnement vers les professionnels de l'écoute et du soin.
Aujourd'hui, 29 octobre, elle aurait eu 87 ans. Mes parents en auraient 86 et 89. Elle était de leur époque et ils étaient de la sienne. Mais jamais je n'avais entendu prononcé son nom ni croisé son art. Pas même ses nanas alors qu'elles ont accompagné le mouvement de libération de la femme de mon enfance à mon adolescence.
C'est le premier premier week-end d'octobre 2014 que la rencontre a lieu, à l'occasion d'un colloque de psychanalyse "Des/illusions" organisé par le Cercle Freudien à Paris. Ce samedi-là, c'est aussi la nuit blanche des musées et l'actualité du Grand Palais c'est l'exposition Niki de Saint Phalle. Pour moi, visiter un musée ou de vieilles pierres relève de choses mortes et je leur préfère le vivant. Histoire d'éducation...
Pourtant, la lecture d'un blog sur l'art et la créativité, quelques mois plus tôt, m'incite à la visite. La très longue queue aurait pu m'effrayer... mais je résiste à l'attente, à la nuit qui tombe, à la pluie, seule (mais très entourée), à la lumière des projecteurs qui éclairent l'une de ses œuvres.
Etre femme, dans cet univers qui s'ouvre à moi, accentue mon sentiment d'être fière de l'être, ma sensibilité, et me fait aussi ressentir comme une impression de force intérieure, allez savoir pourquoi... Je m'y sens bien. Certaines créations me parlent davantage. Je les photographie pour en profiter plus longtemps. Je crois que j'aimerais être l'une de ces nanas, imposantes mais légères, dans leurs rondeurs de couleurs.
La visite se poursuit quand au détour d'une allée je tombe en arrêt devant un tableau comme celui-ci :
La ressemblance avec l'un des rares dessins que j'ai griffonné, à la hâte, durant ma dépression est frappante. Etonnant ! Certes, le sien est bien plus artistique. Le mien, dans un jet de crayon, venait de je ne sais où...
La visite s'est poursuivie
et la vie aussi.
Deux bonnes années plus tard, les mots me fatiguent, m'épuisent, car ils insistent, toujours dans la même direction. Il ne se passe pas une semaine sans qu'une expression ou un mot du passé me revienne, comme si c'était hier ou plutôt aujourd'hui. Mes rêves également se font insistant et eux-aussi m'indiquent toujours la même direction... sous la ceinture !
Jusqu'à cette séance où j'entends, de mon psy, "C'est tout à fait ça". De quoi parle t-il ? Lui d'habitude peu prolixe me demande si je connais le livre de Niki de Saint Phalle, "Le secret". Je n'avais même pas notion qu'elle ait écrit. A peine tourné le coin de sa rue, j'ai déjà consulté internet et, trois jours plus tard, le livre est là.
Un quart d'heure, c'est le temps qu'il me faut, le temps d'une séance, pour parcourir le texte de cette lettre écrite par Niki de Saint Phalle à sa fille, d'une écriture manuscrite, presque celle d'une enfant. Découvrir les mots, sentir les larmes m'envahir après quelques paragraphes seulement, pour finir débordée d'émotions. Cueillie en plein texte.
Tant de similitudes avec mon histoire sur si peu de pages, c'est simplement impossible. Comme le reste d'ailleurs mais sur ça j'ai progressé. Mon psy le sait, c'est pour cela qu'il s'est autorisé. Effectivement, c'est tout a fait ça ! Même si je bute encore parfois sur la réalité des choses.
Alors, aujourd'hui, jour anniversaire de Niki de Saint Phalle (merci internet !) et pas seulement pour coller à l'actualité qui déferle, j'ai envie de retranscrire ici certains passages de "Mon secret", parmi ceux qui m'ont le plus touchée et pour cause.
"Dans notre maison, la morale était partout : écrasante comme une canicule... L'été des serpents fut celui où mon père, ce banquier, cet aristocrate, avait mis son sexe dans ma bouche... je pris l'habitude de ronger ma lèvre supérieure. C'était un véritable tic. Vingt ans plus tard, j'avais tellement maltraité ma bouche que je m'étais créé une deuxième lèvre. Je portais ma honte sur mon visage... Je ne me souvenais de rien. L'oubli me protégeait d'une vérité insupportable... J'avais peur de parler, de dire ce que je ressentais, de montrer mes émotions... Si j'avais osé parlé que ce serait-il passé ? Mon silence était ma stratégie de survie. Ce même silence que j'opposais à ma mère lorsque, au cours de véritables crises d'hystérie, elle me frappait le visage avec les poils de sa brosse à cheveux... Le silence me sauvait mais en même temps il était désastreux pour moi car il m'isolait tragiquement du monde des adultes... Je me heurtais aussi au sentiment complexe d'amour-haine que je ressentais pour mon père. En le dénonçant, il cesserait de m'aimer. J'étais prise entre l'amour et la révolte... Ce viol me rendit à jamais solidaire de tous ceux que la société et la loi excluent et écrasent... J'ai pris l'habitude de survivre et d'assumer... Le viol n'est pas seulement un acte sexuel, c'est aussi un crime contre l'esprit... Ce viol subi à 11 ans me condamne à un profond isolement durant de longues années. A qui aurais-je pu me raconter ? J'ai appris à assumer et à survivre avec mon secret...".
Que dire du deuxième post-scriptum de cette lettre "Un jour, je ferai un livre pour apprendre aux enfants comment se protéger". Et là, c'est la larme qui fait déborder toutes les autres. Celles de Marguerite, la petite fille qui avait peur des mots dont j'ai terminé l'écriture il y a quelques mois. Comment ne pas faire le parallèle avec mon désir d'écrire un livre pour les enfants, un livre pour favoriser la parole des enfants en difficultés, les accompagner vers des spécialistes de la parole et du soin. Ma façon de leur permettre de ne pas rester dans le silence. A la lecture de ce post-scriptum, j'ai su que j'irai jusqu'au bout de mon projet, coûte que coûte.
Voilà comment j'ai connu un tout petit bout de Niki de Saint Phalle. Voilà comment je comprends aujourd'hui ce sentiment de force intérieure que j'ai ressenti au Grand Palais. Cette force que nous avons du nous construire pour survivre à ça et que nous avons en quelque sorte partagée. Et c'est peu dire que cette rencontre-là m'a confortée dans ce que je suis profondément et dans ma volonté de poursuivre, à ma façon et sans contrefaçon, le chemin que j'ai entrepris, grâce et avec la psychanalyse.
Et pour ceux qui souhaiteraient lire mon témoignage "D'un bord à l'autre", en attendant la parution de "Marguerite, la petite fille qui avait peur des mots" au deuxième semestre 2018, c'est par ici :
Cette fois, je suis en capacité d'aller là où l'inconscient me mène, d'entendre, de lire, ce qui était jusque-là codé, intraduisible mais surtout impossible. Ce que je savais sans savoir que je le savais...
Ce que je trouve, derrière la porte jusque-là bien verrouillée, me laisse abasourdie, sans voix. Inimaginable, impossible. Alors je laisse décanter, comme une eau sale. En déduire que je ne suis pas si "malade" que ça est une mince compensation au regard du trouble provoqué. Je me suis simplement construite sur "ça", sur ça aussi. Un trop plein de mère, un trop plein de père et, à l'arrivée, un grand vide. Un grand vide sans bord ou des bords plein de vide. Un corps qui s'évapore et un corps qui déborde. L'un et l'autre ont fait effraction à leur manière. Deux ravages.
Le burn-out a contribué à ma dépression mais cette dépression est en quelque sorte la solution que j'ai trouvée, de façon inconsciente, pour m'en sortir, renouer avec la psychanalyse, rester en vie, prendre soin de moi. Le burn-out et la dépression comme symptômes d'un impossible à dire mais aussi comme "garde-fou" pour ne pas se perdre davantage au risque de se perdre complètement.
A l'image des failles provoquées par un séisme, le burn-out a agi comme une lame de fond qui a fait remonter à la surface des choses enfouies, oubliées. Je suis persuadée aujourd'hui que sans ce burn-out, sans cette profonde dépression et, bien évidemment sans la psychanalyse, je n'aurais jamais rouvert les cicatrices de l'enfance et donc jamais atteint le rivage paternel. Pas plus que je n'y serais parvenue si j'étais restée anesthésiée par des molécules chimiques.